Il y avait deux types d'habitat. Celui des propriétaires et celui des ouvriers. Chez les propriétaires, ambiance bourgeoise. Après la montée du péron, le hall et ses grands carrelages noir et blanc, avec à gauche la salle à manger qui s'avançait dans la cour comme une tour de surveillance, de cette salle à manger accès à deux salons un sur cour et un sur rue avec piano.
Derrière la salle à manger un escalier qui menait aux appartement de la famille Artus.
A droite du hall, un second couloir avec un escalier, rampe en fer forgé et boule d'ivoire ainsi que tapis jusqu'à l'étage où on accédait aux appartements de la famille Prud"Homme. Je ne saurais dire combien il y avait de chambres: 10, 15 ???? Cet escalier continuait pour monter au grenier.
Au rez de chaussée en passant devant l'excalier on accedait à une immense salle à manger, très peu utilisée qui pouvait recevoir 50 à 70 convives. et s'ouvrait sur le jardin d'agrément.
Sous l'escalier une porte pour aller dans la cave, immense, voutée. Là était entreposés les fruits, des oeufs dans des jates de terre cuite pour la consommation d'hiver. Mais aussi j'y descendais non sans un frisson pensant à ce qui s'y était passé pendant la guerre: prison de la kommandatur!
Et donnant sur le hall et le couloir la cuisine, grande avec sa cuisinière à charbon qui mesurait plus de deux mètres, une hotte. je n'oublie pas non plus les chambres des domestiques, une cuisinière qui habitait à l'année, et ceux qui venaient pendant les deux mois d''été, soit au service des adultes (dont un valet de chambre, un vrai avec son gilet rayé!) soit au service des petits enfants qui avaient mon age.
N'y entrait pas qui voulait et c'était un honneur pour moi de temps en temps de partager le goûter des petits enfants. Par contre régulièrement je partageais les jeux dans le jardin ou le pré où un portique était installé. le jardin d'agément avec ses deux bosquets bordés de haies qui entouraient de grands arbres, au milieu, une aire de sable ratissé, sur un côté un tas de sable pour les enfants, de part et d'autre deux parterres plantés de fleurs entourrés de buis taillé. Au fond la "maison de jardinier", puis de l'autre côté le potager avec ses allées marquées par du buis taillé, des légumes de toutes nature, des rangées de chassis et le long des murs des arbres fruitiers en espalier.
L'habitation du régisseur, se situait à l'extérieur de la ferme, devant dans cette maison à colombage qui existe toujours la bascule qui servait à peser céréales, mais aussi les boeufs. Y attenaient des dépendances, un poulailler, un jardin et le "petit pré" aujourd'hui parking.C'est dans cette maison que j'allais regarder les premières émissions de télé, la Piste aux Etoiles, Jean Nohain etc... car bien sûr à la maison pas de télé.
Les ouvriers permaments étaient quant à eux logés par l'employeur. Dans Mitry, les maisons existent toujours rue de villeparisis. Mon Père qui était "chef de cour", c'est à dire s'occupait de tout ce qui était dans la ferme, et la surveillait. Notre habitation était donc dans la ferme même. l'entrée était sous le porche. Peu de clarté et on arrivait dans la cuisine. Là un évier avec eau froide et d'abord sans évacuation. L'eau sale tombait dans un seau que ma Mère allait jeter dans le fossé qui était devant la ferme. Ensuite une évacuation fut faite.Une petite fenêtre perçait le mur de 70 cm d'épaisseur et donnait sur les marches de l'escalier à vis. A l'intérieur de la cuisine, une cuisinière à charbon qui fournissait l'eau chaude, une table de 1 mètre de long, 4 chaises, un buffet et un réchaud à gaz pour l'été.
De la cuisine on accédait à la salle à manger (environ 3,5 x 3,5 mètres). Une table carré, un buffet et bien plus tard une télé (celle du régisseur en noir et blanc quand il est passé à la couleur). Avant il y avait la radio avec son oeil vert et les réglages à faire pour trouver les émissions: "sur le banc, quitte ou double..." Une petite fenêtre avec des barreaux donnait sur le devant où il y avait un fossé après un chemin piétonnier qui longeait le mur du parc Corbrion.
De la cuisine partait un escalier et de chaque côté une chambre. Celle de mes Parents qui donnait sur la cour et la mienne plus tard partagé avec mon Frère qui donnait sur l'extérieur.
Pas de chauffage hormis la cuisinière et un petit poêle à bois dans ma chambre où j'ai rarement vu les flammes à travers la porte garnie de mica. Ce poêle fumait et la sécurité aléatoire. Alors ma Mère préférait ne pas l'alumer. Un peu de chaleur montait de la cuisine, et le lit était rechauffé par une brique chauffée au four avant que nous nous enfouissions sous l'énorme édredon de plumes. Plus tard nous eûmes un radiateur électrique.
Mais de salle de bains point! La toilette dans la cuisine à l'évier et le dimanche dans la bassine. Après une dure journée dans la poussière et la chaleur, une douche dehors à la citerne qui avait chauffée au soleil.
De WC point, ceux ci étaient dans la cour qu'il fallait traverser: une planche trouée et plus tard une lunette. Donc il y avait la corvée du seau hygiénique.
C'était ainsi dans la quasi totalité des maisons de logement des ouvriers.
Notre jardin était situé dans la pointe à l'angle du chemin des coches et de la rue de Villeparisis, le poulailler dans le "clos". Nous avions également droit à nos pommes de terre pour l'année et à 100 kg de sucre qui venaient de la sucrerie. Les fruits nous en avions par le régisseur qui partageait avec mes Parents la récolte de son pré.
C'était rustique et simple mais dans Mitry nombreux étaient logés ainsi. Nous nous y sentions bien même si les souris traversaient de temps en temps une pièce malgré nos tapettes, appats ou les coups de martinet que mon Père leur assénnait quand elles passaient à proximité. Nous étions aussi habitué à vivre avec les mouches qui ne peuvent être erradiquées quand il y a des animaux. J'ai toujours vu, pendants, les rubans de glue pour en piéger un peu. Et puis les odeurs: celle pas désagrable des chevaux, plus forte des moutons qui passaient devant notre porte. 4OO bêtes ça laisse des traces.
Mais le pire était le tombereau de pulpe qui quotidiennement l'hiver passait devant, cette pulpe qui sentait si bon au sortir de la rappe était devenue par fermentation une "pourriture" à l'odeur insuportable, et le jus s'écoulait du tombereau. A chaque fois quelques seaux d'eau dans le porche pour repousser l'odeur.
Mais le logement des saisonnier était encore pire. Les Belges qui venaient pour la saison des betteraves étaient logés dans un grenier! Oui un grenier, au dernier niveau de l'escalier à vis. Dans ce grenier le dortoir de Belges: 8 lits!
Huit lits étaient dans ce grenier, des lits à mailles metalliques récupérés de l'armée américaine. Sur chaque lit non pas un matelas, mais une paillasse dans une toile de jute. La paille y était changée tous les ans et quand même des draps et couvertures. Mais de chauffage point. De toilettes point: c'était la nature à l'extérieur de la ferme. La nourriture était prise au réfectoire et ma Mère faisait la cuisine. Pas de café, de l'orge qui était grillée dans le four du boulanger. Des pains de 6 livres dans lesquels ils taillaient des tartines d'une finesse qui m'épatait. Pour le casse croute du saucisson à l'aïl ou du pâté de foie, le midi du ragout de boeuf avec des pommes de terre, le soir une soupe avec de nouveau du râgout et le dimanche un pot au feu! Pour boisson de l'eau un peu de bière et s'ils en voulaient ils pouvaient s'acheter du vin. Ces hommes étaient d'une gentillesse extraordinaire et combien de fois ai-je partagé leurs repas et le dimanche joué aux cartes avec eux. ce sont eux qui m'ont appris la manille, et les parties étaient engagés avec des "Godfordum". j'ai été invité chez eux et j'ai pu découvrir ce coin de Flandes autour de Kortemark, Handzame et apprécié la chaleur de leur accueil. J'avais un peu honte de la façon dont on les recevait.